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Interview Jean-Pierre Latere, CEO d’EsoBiotec


Nos Smart Heroes : des histoires inspirantes qui donnent envie d’entreprendre

De ses années passées aux États-Unis, Jean-Pierre Latere retient qu’il faut toujours « tenter à fond » pour tester un projet. Il applique ce credo chez EsoBiotec.

 

Le collectif au cœur de son management et l’ambition au centre de son projet, Jean-Pierre Latere trace un parcours audacieux. Tel un urgentiste, il est en mission pour sauver des vies. De ses années passées aux États-Unis, il retient qu’il faut « toujours tenter à fond ». Avec EsoBiotec, il est bel et bien en passe de révolutionner le traitement des cancers. Sa dernière levée de fonds a permis d’entamer une première étude clinique débutée en décembre 2024. Une course contre la montre est lancée afin d’obtenir les premiers résultats de preuve de concept clinique chez des patients atteints du myélome multiple, un cancer du sang dévastateur.

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De chercheur à CEO, abonné aux allers-retours Belgique – États-Unis, votre parcours pique notre curiosité.

Je suis chimiste de formation. Après mes études à Liège, j’ai effectué un post-doc aux États-Unis où j’ai été recruté par le groupe Johnson & Johnson, et plus spécifiquement par la société Janssen Pharmaceutica. Ils m’ont fait revenir en Belgique où j’ai travaillé comme chercheur en laboratoire à Beerse. J’ai découvert le monde de l’industrie pharmaceutique. C’était une excellente expérience parce que Johnson & Johnson est une magnifique boîte avec d’excellents chercheurs.

Janssen m’a ensuite rappelé aux États-Unis où j’ai poursuivi mon travail de chercheur. Avec l’arrivée de notre premier enfant, nous sommes rentrés à nouveau en Belgique pour nous rapprocher de notre famille. Quitter Johnson & Johnson a été très difficile car la recherche aux États-Unis est toujours plus agressive, plus rapide et avec plus de ressources.

 

Que retenez-vous de votre passage aux États-Unis ?

Cette expérience m’a permis de devenir beaucoup plus efficace et de voir la recherche différemment. Une des choses que j’ai apprises et qui me guide encore aujourd’hui, c’est de toujours tenter à fond. Et quand on tente à fond, si ça ne marche pas, il faut arrêter et passer à autre chose.

 

En quoi est-ce plus efficace ?

Aux États-Unis on se donne les moyens, non seulement financiers – pour acheter des équipements, des matières premières, effectuer les manipulations nécessaires etc. – mais aussi les moyens humains avec le recrutement des meilleurs experts dans leur domaine.

D’un point de vue plus personnel, mon expérience aux États-Unis m’a permis de développer une plus grande confiance en moi. Je crois que l’on a un excellent niveau d’étude en Belgique mais on ne se vend pas bien.

 

Après les États-Unis, vous occupez un poste de management chez Cardio3 Biosciences. Une expérience clé dans votre parcours ?

Cardio3 m’a permis de basculer de chercheur au monde de l’entrepreneuriat, où j’ai occupé le poste de responsable de projet : lever des fonds, expliquer son projet, se frayer un chemin, recruter, innover, être agile et flexible… C’est tout ce qui caractérise un entrepreneur et c’est ce que j’ai expérimenté.

Ce qui m’a séduit chez Cardio3 c’est l’ambition du CEO. Cela me rappelait l’atmosphère de travail des États-Unis : on vise grand et on se donne les moyens. Cela a été une formidable expérience. Ensuite, j’ai rejoint Dow Corning dans un rôle global avec la majorité de mon équipe aux États-Unis, me donnant l’opportunité d’y passer à nouveau beaucoup de temps.

 

C’est là que vous comprenez une chose essentielle pour la suite de votre business ?

Chez Dow Corning on m’a confié le poste de responsable mondial de la division Science et Technologie Healthcare, et ensuite en Cosmétique. J’étais à la tête de près d’une centaine de personnes aux États-Unis, en Asie et en Europe. Ce rôle m’a permis de comprendre les aspects de la commercialisation des produits. J’ai compris une chose essentielle : toute innovation doit répondre à des besoins, et il est essentiel de comprendre les besoins du client.

 

Vous opérez à nouveau un tournant professionnel décisif.

J’ai intégré Celyad Oncology, anciennement Cadio3Biosciences, comme responsable de la franchise cardiaque, puis en qualité de COO. J’y ai expérimenté toute la partie opérationnelle de la vie de l’entreprise, notamment la transition de la recherche en laboratoire vers les études cliniques.

Celyad développait un programme de lutte contre les cancers au moyen de produits cellulaires appelés CAR-T (Chimeric Antigenic Receptor – T). Ce traitement révolutionnaire permet en quelque sorte de réveiller le système immunitaire du patient, et de le rendre capable d’éliminer les cellules cancéreuses. Il consistait à prélever le sang du patient, puis à isoler les globules blancs (lymphocytes) de type T que l’on reprogrammait en labo. On réinjectait ensuite au patient ses propres cellules modifiées génétiquement.

C’est un traitement qui permet de guérir certains cancers et qui améliore significativement la qualité de vie des malades. A ce moment, c’était très innovant et nous figurions parmi les premiers à le tester en Europe et aux États-Unis.

Quand j’ai découvert les CAR-T, c’était un moment très important pour moi car un de mes proches souffrait d’un cancer et se trouvait dans une phase très difficile. Travailler chez Celyad c’était comme une mission, c’était contribuer à améliorer la vie des patients et aussi des familles qui souffrent à cause de cette maladie.

On sait que derrière chaque poche de sang, il y a un patient pour lequel c’est la dernière option. C’est à la fois très lourd émotionnellement et il y a aussi une forme d’excitation de se dire : on peut rendre l’espoir à une personne et à sa famille. Cela motive énormément les équipes qui sont extrêmement soudées car derrière il y a une mission humaine.

 

Vous êtes donc entré en mission contre le cancer ?

On propose les CAR-T aux patients qui n’ont plus d’option car tous les autres traitements ont été explorés : chirurgie, radiothérapies, chimiothérapies… Je suis entré dans ce mode « mission ». Je me disais : il faut absolument contribuer à cette lutte, Il faut donner des outils aux médecins, aux patients et aux familles. Et pour moi, les CAR-T c’était et c’est toujours un outil.

Chez Celyad il s’agissait d’un traitement autologue. C’est-à-dire qu’on produit des CAR-T en partant des cellules du patient et pas d’un donneur. De fait, il n’y a pas de rejet possible. L’inconvénient est que la durée de production en laboratoire est longue (plusieurs semaines), et parfois l’état du patient se dégrade pendant cette période de production.

À côté de cela on a exploré une autre voie, la voie allogénique, qui utilise le sang de donneurs. L’avantage de cette approche est que l’on peut traiter beaucoup plus de patients et plus rapidement. Chez Celyad on explorait les deux pistes. Malheureusement dans l’approche allogénique, le problème majeur est le risque de rejet des cellules d’un donneur et aussi la durée de vie limitée des cellules du donneur dans le corps du patient.

 

Comment en arrive-t-on à créer EsoBiotec ?

En 2020, j’arrive à un carrefour et avec le Covid on a tous repensé nos vies. J’ai 45 ans et je me dis qu’il me reste une vingtaine d’années de travail. J’ai eu envie de pousser la recherche un peu plus loin car il y a beaucoup de patients qui souffrent d’un cancer, il y en a trop. Avec l’approche autologue ou allogénique je me suis rendu compte que l’on ne traiterait pas assez de patients. Et même si les résultats cliniques se révélaient probants, nous aurions un problème logistique pour la production de batchs en quantité suffisante et à des coûts acceptables.

Ma réflexion a donc été : comment pourrait-on produire des cellules autologues de manière plus rapide, plus simple et moins coûteuse ?

La question qui est à la source de la création d’EsoBiotec est : comment transformer tous les patients en usine ? L’idée centrale est que le patient peut créer lui-même ses CAR-T à l’intérieur de son corps. On développe un traitement immédiat – on ne doit plus transporter le sang et le transformer en labo -, et le coût du traitement doit par conséquent être réduit puisqu’on évite toute cette chaîne de production. Chaque patient deviendrait donc une usine pour lui-même. On peut ainsi envisager de traiter plusieurs milliers de patients par an.

 

Où en est votre recherche ?

On développe un vecteur qui transporte l’information génétique et qui est directement injecté dans le patient. Ce vecteur est capable d’identifier les lymphocytes T, et de les transformer en CAR-T. Donc le patient fabrique lui-même ces CAR-T qui sont directement localisés dans son organisme.

 

Pourquoi avez-vous choisi de créer votre start-up en Belgique alors que les États-Unis offrent des moyens bien plus conséquents pour les biotechs ?

La Wallonie et la Belgique sont des territoires propices à la biotechnologie. J’ai appris la biotechnologie et la médecine régénérative en Belgique. Il y a 15 ans, plusieurs entreprises wallonnes ont été créées, notamment Cardio3 Biosciences, Bone Therapeutics, Promethera Biosciences etc… Elles sont allées très loin, jusqu’aux essais cliniques, elles ont ouvert la voie des thérapies cellulaires. Elles ont développé un savoir-faire reconnu dans le monde de la biotechnologie. C’est vraiment une terre d’innovation, et la Région Wallonne a joué un rôle clé dans le lancement de nombreux projets dans ce domaine.

Le rôle des sociétés d’investissement wallonnes est aussi essentiel. Je pense à Investsud, Sambrinvest et WE qui sont présents à nos côtés et qui ont une approche très pragmatique. Ils facilitent la mise en réseau, ils nous permettent d’entrer en contact avec de bons investisseurs en « Venture Capital » belges et étrangers. Ils accompagnent aussi l’entreprise dans son quotidien. Je peux les consulter pour des questions fiscales, juridiques, ou autre. Ils ont un désir de voir la Wallonie se développer. Ils sont plus humains et cet aspect est extrêmement important pour moi. Lancer un tel projet en Belgique avait du sens.

 

Quel est l’enjeu pour EsoBiotec ces prochaines années ?

L’objectif majeur est de démontrer que notre approche marche en clinique. Nous sommes excités d’avoir pu débuter une première clinique fin 2024 avec un partenaire en Chine. Nous comptons présenter nos premières données avant la fin 2025. Le second objectif, à l’horizon 2027, est que l’on puisse disposer d’au moins 3 produits en étude clinique qui ciblent des cancers solides. 90% des cancers sont des cancers solides, tel que le cancer des poumons, et pour l’instant les CAR-T n’arrivent pas encore à soigner ce type de cancer. L’idée est de devenir la première entreprise au monde à percer dans le domaine des CAR-T pour le traitement des cancers solides.  

 

C’est un très gros défi. Que vous faut-il pour y arriver ?

La clé, ce sont les ressources humaines capables d’innover. EsoBiotec est une société a vocation internationale, nous devons être capables d’attirer des profils qui viennent de n’importe où avec les bonnes compétences. Ma mission est de créer une équipe aussi innovante que cohésive.

 

Faut-il développer un management spécifique dans ce cadre ?

Il faut être intentionnel dans la culture d’entreprise que l’on essaie de construire. Il faut établir des règles de respect, de communication et d’échanges qui vont permettre de favoriser l’intelligence collective. En recherche, travailler dans son coin ne marche pas. Il faut absolument que les gens puissent travailler les uns avec les autres, se respecter et s’écouter. La solidarité est essentielle.

 

Vos concurrents américains disposent d’un financement bien plus élevé. Est-ce que cela vous pénalise ?

Les 3 sociétés américaines qui sont nos concurrents directs ont levé plus de 700 M€. EsoBiotec a levé un peu plus de 20 M€. Néanmoins, nous avons été capables de commencer une étude clinique avant certains d’entre eux. En fait, nous les avons rattrapés. Nous sommes les premiers, et à ce jour les seuls, à réaliser une étude clinique dans le myélome multiple avec notre technologie.

 

Comment expliquez-vous cette situation ?

1/ nous avons été capables d’optimiser au mieux nos dépenses en allant très vite sur les axes de recherches que nous pensions les plus importants ;
2/ nous avons été capables de monter une équipe qui est extrêmement efficace et focalisée sur le développement de produits grâce à une solide expérience dans le domaine ;
3/ tous nos chercheurs travaillent en laboratoire, c’est un modèle propre à EsoBiotec.

La créativité est aussi essentielle dans l’innovation et pour développer cet esprit créatif, nous exploitons au maximum l’intelligence collective, on travaille beaucoup en groupe et chacun amène sa pierre à l’édifice. L’ambiance de l’équipe est primordiale et nous mettons beaucoup d’énergie à favoriser la convivialité.

 

Quelles nouvelles perspectives ouvre votre dernière levée de fonds de 8 M€ ?

Grâce à ce financement nous avons pu finaliser tous les aspects de production. Et donc produire ce fameux vecteur que l’on va injecter dans des conditions optimales.
Ce financement nous a aussi permis d’augmenter la taille de l’équipe. On a recruté davantage en interne ainsi que des consultants pour préparer cette étude clinique.
Et enfin, il nous permettra de réaliser la première étude clinique.

 

Votre mission c’est sauver des vies, comment la perpétuer ?

En formant des chercheurs qui prendront la suite et qui continueront la bataille. Et j’espère que la Wallonie continuera à soutenir ce type de recherche. Si on connaît un succès commercial cela va confirmer que la Wallonie est bien une terre de biotechnologie.

 

Un conseil à donner aux futurs entrepreneurs ?

Follow your dream, visualiser votre objectif, et donner du sens à votre projet.

 

L’histoire d’EsoBiotec et de Jean-Pierre Latere illustre la puissance de l’innovation soutenue par des valeurs humaines fortes. En plaçant les patients au centre de leur démarche, cette start-up wallonne ouvre de nouvelles perspectives pour les thérapies cellulaires et démontre que l’audace peut rivaliser avec les moyens les plus conséquents. C’est un exemple concret de l’impact que des entreprises innovantes peuvent avoir sur notre avenir.

Vous avez une idée audacieuse ou cherchez un partenaire pour faire avancer votre projet ? Chez Investsud, nous accompagnons les entrepreneurs dans leur développement, en leur offrant les ressources nécessaires pour réussir. Contactez-nous pour échanger sur vos ambitions.

 

Esobiotec vous intéresse ? Rendez-vous sur : www.esobiotec.com/